Le pouvoir des histoires : l’ancêtre mythique

Les organisations humaines, tribus, nations ou encore entreprises, se fédèrent généralement autour d’ancêtres fondateurs. En quoi les histoires que l’on raconte sur nos origines valorisent-elles ou nient-elles la diversité ?

 

Dans les sociétés traditionnelles, de nombreuses tribus se disent descendre d’un ancêtre commun. Mais ces groupes de parenté ont-ils un fondement biologique, ou sont-ils socialement construits ? Des équipes américaines, françaises et ouzbeks, composées d’anthropologues et de biologistes (1), ont cherché à répondre à cette question auprès de cinq populations d’Asie Centrale. Pour cela, ils ont analysé l’ADN d’individus se déclarant de la même filiation, selon trois niveaux de regroupement croissants (lignage, clan et tribu). Or, contrairement aux lignages et aux clans, les individus d’une même tribu ne se ressemblent pas plus génétiquement que des individus pris au hasard dans la population globale. Ces tribus proviennent donc d’un regroupement de clans de diverses origines, qui se sont inventé un ancêtre mythique, pour mieux se fédérer.

 

Or ce besoin d’ancêtres mythiques n’est pas l’apanage des sociétés traditionnelles. Certes, certains récits nous semblent aujourd’hui à l’évidence mythologiques, tels que les généalogies surnaturelles et cosmogoniques des Māori. Mais si l’on ne prend plus au pied de la lettre l’histoire de Romulus et Remus, fondateurs de Rome, d’autres « romans nationaux » influencent encore fortement les diverses sociétés dites modernes.

 

Celui de « nos ancêtres les Gaulois » a notamment la vie dure. Pourtant le choix idéologique de nos ancêtres s’était longtemps porté sur les Francs et leur roi Clovis, renonçant à ses dieux païens pour se faire baptiser chrétien en 496. Mais après la défaite de 1870 contre la Prusse et les États Allemands de Bismarck, il n’était plus question de faire descendre le peuple français de la tribu des Francs, ces barbares germaniques ! La propagande du XIXème siècle a donc ressorti de derrière les fagots ces bons vieux moustachus de Gaulois, érigeant Vercingétorix comme nouvel héros national. Rien de tel pour exalter le patriotisme français et le sentiment de revanche face aux Germains.

 

C’est toujours ce besoin politique de fédérer un peuple multi-ethnique, qui pousse depuis le début des années 2000 le gouvernement chinois à célébrer le culte de l’Empereur jaune. Historiquement très discutable, Huangdi figure désormais dans tous les manuels scolaires comme « l’ancêtre de tous les Chinois » (y compris des 55 minorités ethniques reconnues). Déclarée « superstition féodale » par le Parti communiste de Mao Tsé-toung, le culte de l’Empereur jaune reçoit désormais l’appui de Pékin, qui voit dans cet ancêtre unique l’occasion d’affirmer sa lignée et sa légitimité.

 

La fabrique de « mémoire collective » sert autant à mettre en avant certains événements qu’à en oublier d’autres plus gênants. Ainsi le mythe des pionniers anglais débarquant du Mayflower en 1620 pour fonder les États-Unis d’Amérique a été forgé au XIXème siècle après la guerre de Sécession, par les États (vainqueurs) du Nord. Outre l’occultation des Amérindiens, ce récit déplaçait alors le berceau des États-Unis de la Virginie (fondée en 1607 et destination privilégiée au XVIIème siècle) vers la région de la Nouvelle-Angleterre. Les nouveaux ancêtres, désormais « nordistes » n’étaient plus « des aventuriers sans scrupule venus faire fortune » dans le tabac, mais une centaine de puritains venus pour des motifs idéalistes et religieux.

 

Aujourd’hui, à l’heure de l’économie mondialisée, où les entreprises sont tournées vers l’avenir, où les fusions, absorptions et autres changements dans les organisations s’accélèrent, la recherche de nouveaux ancêtres mythiques est peut-être plus que jamais un besoin essentiel. Car pour retrouver du sens, il faut au moins deux points de repère : il ne s’agit pas seulement de savoir où l’on va, mais aussi d’où l’on vient. Or si l’affirmation d’une identité à partir d’ancêtres soit disant originels nie la dynamique même de la vie humaine, ce continuum fait d’échanges, de brassages et d’apports successifs, il nous reste à choisir, en conscience, un passé, un présent et un avenir riches de leur diversité !

 

(1) The Genetic or Mythical Ancestry of Descent Groups: Lessons from the Y Chromosome (2004): Chaix R, Austerlitz F, Khegay T, Jacquesson S, Hammer MF, Heyer E, Quintana-Murci (CNRS-Institut Pasteur, groupe d’Evelyne Heyer, Université Paris 7-Musée de l’Homme)

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