L’humour potache et le sexisme
Cyril Augier - 14 février 2022
Derrière chaque acte, se cache un besoin. S’il convient de dénoncer certains comportements, le besoin, lui, nécessite d’être reconnu, et honoré par d’autres moyens. Quel besoin se cache derrière l’humour sexiste, souvent banalisé comme « humour potache »? Et comment le satisfaire de façon saine et inclusive ?
L’étymologie nous donne peut-être un indice. L’humour potache est l’humour de ceux et celles qui « partagent le pot ». C’est un humour de taverne, qui sent le vin et la bière. Un humour d’internes, ou de troupes de soldats éméchés? Il est aussi probable que le pot désignait à l’origine le récipient ou la marmite. Bref, qu’il s’agisse de partager « le boire ou le manger », l’idée est celle d’un groupe de proches, tout comme un « co-pain » est d’abord celui avec qui on parte le pain.
Sans doute peut on voir ici un besoin d’appartenance, de fraternité (ou de sororité). Abraham Maslow, dans sa fameuse pyramide, plaçait d’ailleurs le besoin d’appartenance juste après les besoins physiologiques et les besoins de sécurité. Il en va de la survie de l’individu (aujourd’hui peut-être autant qu’à l’époque des chasseurs-cueilleurs). Ce besoin de faire parti d’un groupe est si essentiel, que l’on peut même renier d’autres valeurs ou rechercher son inclusion via l’exclusion d’autrui. Rire d’une personne ou d’un groupe social, que l’on cherche à exclure, peut donner l’illusion que l’on fait parti de la communauté. Et la pression de conformité peut nous inciter à rire (voir à surenchérir) aux moqueries, pour s’intégrer.
A l’image de la famille, premier cercle d’appartenance, un groupe se définit d’abord par ses frontières : il y a les membres qui en font parti… et les autres. Certes, l’image de la famille nous invite aussi à penser qu’il est vital pour le groupe d’être tourné vers l’extérieur ( l’inceste est d’ailleurs un tabou universel). Mais il est sans doute nécessaire d’avoir acquis une certaine sécurité ontologique, et le sentiment d’être accepté par ses pairs, pour dépasser l’instinct grégaire.
Et cet instinct, ce besoin vital d’être relié.e, de faire parti d’un groupe, d’une tribu, peut donner le meilleur… comme le pire (si la personne ne parvient pas à le satisfaire de façon positive). On retrouve ce besoin dans tous les milieux. La violence de l’exclusion peut prendre des formes variées, et l’humour, quand il est mis à son service, peut être cru ou bien perfide et « raffiné ».
Le film « Ridicule » de Patrice LECONTE illustre magnifiquement cette pratique de l’entre-soi à la Cour de Versailles de Louis XVI, où le mot d’esprit sarcastique est au centre de la vie mondaine. L’humour (essentiellement moqueur et méchant) est un sésame pour faire parti du sérail, obtenir une audience du Roi, ou écarter un adversaire en le ridiculisant. Le jeune baron de Malavoy, qui ne manque pourtant pas d’esprit, mais arrive candide de sa province pour demander au Roi d’assécher les marais de la Dombes, en fera les frais.
Une des pistes à explorer pour faire cesser l’humour sexiste consiste peut-être à répondre autrement au besoin d’appartenance. Tout d’abord en le conscientisant et en accueillant les peurs (dont celle d’être rejeté.e, qui amène au rejet de l’Autre). En créant de nouvelles appartenances, basées sur d’autres valeurs, en développant de véritables communautés de soutien au-delà des réseaux de connaissances. Gageons qu’en prenant soin de nos besoins, dont celui de nous relier aux autres, l’humour soit davantage source de joie partagée par toutes et tous. Peut-être même autour d’un verre ou d’un repas, dans une ambiance pas si « potache ».
Pour aller plus loin : notre saynète « Face au sexisme »